Cet article a été rédigé en réponse à un appel de courriers pour “Le Combat Pour Soi”.
C’est un détail mais permet de comprendre la sémantique de sa conclusion.
Vous vous sentez perdu ? Bienvenu au club. Il parait que la vie a un sens, mais vous courez dans toutes les directions.
Ceci n'est pas un hasard.
Les combats se multiplient. Pourtant l'état du pays et la qualité de nos vies se dégradent.
A quoi servent donc réellement nos luttes ?
Aujourd'hui, beaucoup se dispersent sur tous les fronts. Discussion de sourds ou langage des signes en bagnole. Commentaire en ligne acide, passif-agressif ou carrément troll. Face à face le dédain dans les yeux. Lutte par procuration dans la foule. Ou chacun dans sa tête à ruminer le passé, redouter le futur en passant à côté du présent.
L'ennemi qui nous menace a réussi un tour de force magistral.
"L'art de la guerre", écrivait Sun Tzu, "c'est de soumettre l'ennemi sans combat."
Le nôtre gagne la guerre sans livrer bataille.
Invisible, insaisissable, il moque notre armée divisée, incapable de l'atteindre.
Cette stratégie n'est pas nouvelle.
Sun Tzu disait aussi:
"On triomphe en tenant ceux qui savent se défendre dans l'inquiétude et les problèmes ... Là où il sont unis, semez la discorde."
Quand on contrôle la force, les lois, la technologie et l'information, on peut alimenter l'anxiété et la peur, amplifier des problèmes ou en laisser moisir, voire en créer de toutes pièces.
Autant de moyens pour déguiser des désirs en solutions.
Mais là n'est pas son plus grand tour de passe-passe.
Il nous a transformé en gardiens de nos propres cellules, isolés dans une prison mentale. Immense est son arsenal. Dès l'école, il forge la mentalité de victimes volontaires, prisonnières d'un système qui les broie. Occupés à combattre nos propres démons – leur armée de minions, larbins de diversion - l'ennemi trouve le champ libre, affranchi de toute résistance. Il s'est glissé partout, jusque dans notre poche, ses alertes d'apparence innocentes sollicitent constamment l'attention. Mais cette proximité abstraite ne le rassasie pas. Son ultime ambition: une connexion directe à notre cerveau.
C'est cet ennemi là qu'il nous faut combattre et aucun autre. Lui qui tient toutes les veines du système sous perfusion. Goutte à goutte, l'ingénierie sociale se diffuse en toute discrétion. Elle commence par une petite pilule, pour ne pas alarmer le patient, et finit par l’anesthésie totale pendant l'amputation.
Pour comprendre cette stratégie, il faut revenir aux fondements de la nature humaine.
Maslow a démontré avec sa pyramide que nos besoins suivent une hiérarchie stricte. Impossible de monter sans passer par l'étage inférieur. D'abord la survie: manger, boire et dormir. Ensuite le sentiment de sécurité: se loger, avoir un travail. Puis l'appartenance: famille, amis, communauté. Vient l'estime de soi et la reconnaissance. Enfin seulement, l'accès à la pensée critique et à la créativité.
Aujourd'hui la pyramide est en ruines: un boulet de milliards a pulvérisé ses bases pour nous priver d'accès aux étages supérieurs.
Pendant des millions d'années, une lutte a dominé l'esprit des Hommes: survivre à un monde sauvage et incontrôlable. A l'aube, une tribu voisine surprenait le clan. Un jour, la nature déchaînait les éléments. Un autre, l'animal acculé s'emparait d'un des nôtres, rappelant une fois encore que l'Homme - tout comme lui - est une proie.
En 10 000 ans seulement, nous avons apprivoisé le monde extérieur. Mais nous ne sommes pas libérés du combat. Il se joue aujourd'hui en un for intérieur. Ce terrain pose un problème inédit: quand l'affrontement semble trop difficile, impossible de partir physiquement. Ne reste comme option qu'une fuite qui s'opère mentalement.
Avant même d'engager un combat, deux questions s'imposent. Est-il vraiment le notre ? Qui en dicte les termes ?
Celui qui choisit le terrain et les règles possède l’avantage décisif.
Le choix du champ de bataille est donc fondamental.
Pourtant...
Les gens bouffent une énergie folle à défendre des causes en invoquant des effets dont ils ne font jamais l'expérience. Les combats d'opinion n'ont pour armes que les mots et leur issue aucun risque véritable. Quant au bien-être de leur partenaire, l'éducation de leurs enfants, l'entretien de leur corps et tout ce qu'ils mettent dedans, ils ont démissionné depuis longtemps. Ils restent volontiers indifférents à l'effondrement de leur santé mentale et l'insouciance avec laquelle ils dilapident leur attention. C'est que travailler sur soi-même implique des efforts bien réels et des enjeux inconfortables.
L'individu est devenu la seule unité qui vaille. Celle de notre nation se délite chaque jour davantage en tribus toujours plus disparates. Chacun collectionne les ennemis. Mais pendant qu'on se noie dans des trivialités mondaines, qu'on se perd dans des distractions vaines, emportés par le stress, plongé dans la dépression, nul ne voit poindre une menace que pourtant tous partagent à l'horizon.
La défaite n'est pas envisageable. Ses conséquences seraient irréversibles.
On persiste pourtant à chercher des coupables là où devraient se trouver nos frères d'armes.
Qu'est-ce qui différencie l'adversaire de l'ennemi ?
Le premier se respecte et s'affronte dans les règles. Les enjeux du combat restent mesurés et qu'on gagne ou qu'on perde, on en ressort grandi.
L'ennemi est un tout autre animal. Son désir n'est que pure destruction. Il contourne, manipule et enfreint les règles. Le plus redoutable possède le pouvoir de les écrire en sa faveur.
L'enjeu est la vie ou la mort.
Avant de gagner la guerre qui se joue contre nous là dehors, il faut donc remporter celle qui nous habite en-dedans. Commencer par redéfinir l'ennemi intérieur comme un simple adversaire. Cesser de se détruire, se respecter à nouveau, définir des règles claires et nos vraies valeurs. Des plus petites victoires aux plus grandes défaites, en tirer des leçons pour retourner toujours plus fort dans l'arène.
La survie du gladiateur dépend du contrôle de ses armes.
La première, proie des sabotages ennemis, se nomme l'attention. Elle a cela de vicieux qu'elle se dépense sans effort. C'est loin d'un détail. Passive, elle est leur ticket d'entrée dans notre inconscient. La bête se nourrit du consommateur. Radio en bagnole, coupons de réduction, séries, publicités, émissions... La machine médiatique verticale scande leur propagande à l'unisson.
Nous devons devenir les disciples d'un nouvel art martial.
Détourner le regard. Apprendre à dire non. Acquérir du savoir. Couper le son.
"Il en faut de l'hygiène mentale", écrivait dans Guerre Laurent Obertone, "pour détecter les pièges, résister à la fabrique sociale des croyances. Tellement d'écrans, de pression contre toi."
L'attention s'investit dans chaque moment. Soignez votre portefeuille de clics. Faites le tri dans vos abonnements.
La deuxième est l'argent. Ces 50% que l'ennemi ne vole pas impunément. Tant qu'il y aura des gens pour acheter, y'aura des malins pour vendre. Une entreprise ne survit qu'avec des clients.
Ces deux armes valent deux-mille bulletins de vote.
Ne les gaspillez plus pour éviter le combat, fuir la difficulté, esquiver l'inconfort. L'ennemi et sa machine exploitent la paresse qui depuis toujours fait partie des Hommes.
Le sage devant l'obstacle, lui, devine la valeur. Il porte cette singularité comme un badge d'honneur. Il est tout ce que l'ennemi redoute: proactif, anti-fragile et intelligent.
Mais une arme ne vaut rien sans solides compétences.
De loin la plus létale est le discernement.
Il est la pilule rouge qui révèle la matrice.
Ne plus se laisser informer, mais aller chercher soi-même les informations. Se rendre capable de faire la différence entre neutralité et agenda emballé d'un jargon bienveillant.
La vérité ne repose jamais en surface. Dans le flot incessant d'information, elle finit engloutie par la fiction. Une armée d'algorithmes et une censure latente l'enfouissent au plus profond de l'océan médiatique. En collectant patiemment des fragments, les connexions apparaissent et révèlent l’étendue de la toile tissée par l'ennemi. On ne peut le vaincre sans d'abord le connaître et le comprendre.
Le combat existe, oui, et sur deux fronts: l'adversaire intérieur et l'ennemi dehors. Le soi fait partie de l'équation. Mais l'enjeu le dépasse largement. Ce qui se joue est l'avenir même de notre civilisation. Le combat pour soi ne suffit plus. Il faut mener un combat par soi, mais pour nous tous. Car chacun dans son coin, qu'on reste faibles ou devienne les meilleurs, nous le perdrons fatalement.
Il est temps pour nous tous d'ouvrir les yeux.
Une guerre sans résistance est perdue d'avance.
A genoux entre nous ou debout devant eux, un seul de ces combats pourra sauver la France.